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Entretien avec Maître Céline Zocchetto, Avocat au Barreau de Paris et utilisatrice Tadeo depuis 2021

Le 16/09/2003

Dans Témoignages

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Bonjour Madame Zocchetto, merci d’avoir accepté notre invitation pour ce partage d’expérience. Vous êtes avocat au Barreau de Paris depuis 2008.

Tout à fait. 
J’ai, en premier lieu, une activité professionnelle multidisciplinaire, de conseil et contentieux.
J’ai, également, été chargée de cours à l’ISG (Institut Supérieur de Gestion).
Je suis, par ailleurs, bénévole au sein de deux associations. La première aide les victimes de violences conjugales et intra-familiales et la seconde lutte contre la cyberpédocriminalité. 

Pourriez-vous nous parler un peu de votre parcours jusqu’au métier d’avocate ?

Le métier d’avocat est apparu comme une évidence au cours de mes études de droit.
J’avais choisi le droit car avais un goût prononcé pour le français et une très bonne mémoire. A 17 ans, il n’est jamais simple de choisir une voie ! Mais il s’avère que c’est un domaine qui me satisfait et me convient, en parfaite adéquation avec ma personnalité, ayant un sens aigu de la justice, au sens large du terme.
Quant à mon parcours, je l’ai toujours abordé avec détermination et optimisme. Mon éducation m’a appris à avancer sans me laisser freiner par les obstacles.
C’est avec le recul que je prends la mesure du chemin que j’ai pu parcourir, notamment par le discours des uns et des autres. Même en étant déterminée depuis très jeune, il est indéniable que j’ai eu des difficultés considérables.

Les cours en amphithéâtre, a fortiori dans le domaine du droit, sont déjà compliqués à suivre pour les personnes entendantes. Comment avez-vous fait ?

Système D comme toujours : le positionnement le plus proche du bureau de l’intervenant, à côté de camarades sur qui évidemment je comptais pour ces prises de notes. C’était acrobatique, entre scruter les lèvres du professeur et m’y concentrer, retranscrire ce que j’avais entendu, puis aller chercher les passages manquants sur les prises de notes de mes amis, tout en ayant appris à déchiffrer leur propre codage… 
C’est une véritable gymnastique intellectuelle !

Ce qui est d’autant plus épuisant lorsque l’on doit en plus assimiler les cours...

Oui, mais après tout, cela a tellement été ma manière de fonctionner depuis toujours que je l’oublie presque. C’est un fonctionnement qui est inhérent à ma personnalité.
C’est d’ailleurs Julien Monnet [Directeur de Tadeo] qui m’avait fait prendre conscience de cette gymnastique intellectuelle à laquelle je me prête et dont je n’avais pas conscience.

Chez Tadeo, nous rappelons que les personnes sourdes fournissent des efforts invisibles et constants, souvent sous-estimés, générant une forte charge mentale en fin de journée.

Absolument. Mais la fatigue, je la ressentais davantage petite, surtout lors de ma première année d’école élémentaire sans appareils auditifs. La lecture labiale était le vecteur de ma communication, je devais donc rester en permanence concentrée sur les lèvres de l’enseignant. A la fin de la journée, et surtout à la fin de l’année scolaire, j’étais littéralement épuisée, au point de ne plus savoir articuler. 
C’est par la suite que j’ai progressivement assimilé et intégré ce mode de fonctionnement, si bien qu’il s’agit d’un automatisme. Je ne dis pas que je ne ressens plus de fatigue aujourd’hui, mais à vrai dire, entre une carrière prenante et deux enfants, qui ne le serait pas ? Par ailleurs, je suis d’un tempérament peu enclin à m’écouter.

Vous avez adopté une certaine attitude ou un état d’esprit pour aller de l’avant ?

Tout le monde ne réagit pas de la même manière face à un handicap. Mon éducation a aussi joué un rôle important. Mes parents ont fait un travail considérable et merveilleux avec moi, c’est-à-dire de banaliser mon handicap. Sans sous-estimer l’impact de ma surdité, en famille, on a complètement dédramatisé. Au point que je ne me voyais pas différente des autres. J’ai évolué dans un monde entendant et cela m’a constamment challengée. Ce qui fait que mon référentiel était le monde entendant.
Donc mon parcours s’est inscrit naturellement dans cet environnement, grâce à l’éducation de mes parents.  Je pense que l’ensemble de ces éléments m’a permis d’avancer, en ayant ce côté combatif.

En tous cas, lorsque vous avez décidé de devenir avocat, vous êtes-vous posé la question de si la surdité allait vous mettre des barrières pour exercer votre profession ?

A aucun moment. De toute manière, jusqu’à très récemment, je ne me suis jamais considérée comme sourde ni handicapée.
Par ailleurs, il arrive que certains minimisent en affirmant : « Tu n’es pas sourde, tu es simplement malentendante ». Cette remarque pourrait être perçue comme un compliment, mais elle ne reflète pas mon vécu. Ma surdité est une réalité.
A ce propos, mon ouvrage, Du silence aux plaidoiries, que je présente actuellement aux maisons d’édition s’articule autour de ce paradoxe : j’ai toujours œuvré pour être perçue comme tout le monde, au point que mon handicap en devient souvent invisible aux yeux des autres. Toutefois, lorsque l’on me suggère que je ne suis pas sourde, cela ne rend pas pleinement justice au chemin que j’ai parcouru.
 

Lors de vos études de droit, avez-vous passé des examens à l’oral comme à l’écrit ? Et dans ce cas, comment avez-vous procédé ?

Les deux. Et j’ai même choisi de me compliquer la tâche. J’ai suivi un double parcours en droit français et droit anglo-américain. 
 

Comment se sont passés vos cours de droit anglo-américain en anglais ?

J’ai rencontré des difficultés importantes. Si l’écrit ne posait pas de problème, l’oral, en revanche, a été nettement plus compliqué. D’une manière générale, une personne entendante peut revenir bilingue après un séjour d’un an et demi ou deux ans dans un pays anglophone. Pour ma part, cet apprentissage nécessite un délai deux, voire trois ou quatre fois plus long.
La lecture labiale est une chose, mais en anglais s’ajoute la difficulté supplémentaire des accents. J’ai beaucoup de mal avec les accents des Britanniques. 

Effectivement, les personnes avec certains accents britanniques, peuvent avoir tendance à moins bouger les lèvres…
Je n’avais pas prêté attention à cet aspect. Mon attention se portait davantage sur l’aspiration des syllabes et la contraction des mots, ce qui m’empêchait de reconnaître certains termes. En revanche, je comprends nettement mieux les Américains, en raison de leur expressivité plus marquée. Leur gestuelle, leurs expressions faciales et visuelles me permettent de m’appuyer sur le contexte pour saisir le sens des phrases, facilitant ainsi ma compréhension.
 

Pourriez-vous nous dire comment vous avez entendu parler de Tadeo ? Et comment Tadeo est entré dans votre activité d’avocate ?

C’est sous l’impulsion de mon époux que j’ai accepté ce changement, bien que je sois de nature plutôt conservatrice. Jusqu’alors, je parvenais à me « débrouiller » seule et cela fonctionnait, je m’en accommodais.
Pendant la période du Covid, les cours à l’ISG se déroulaient à distance et tous les rendez-vous se faisaient par téléphone. Mon époux observait mes difficultés, même si je persévérais. À cette époque, dans le cadre de son activité, Tadeo faisait partie des prestataires et il a longuement échangé avec Julien Monnet. Ces discussions ont naturellement fait écho à ma situation quotidienne. Il m’en a parlé, et ma première réaction a été plutôt réticente : je souhaitais continuer à agir seule, comme je l’avais toujours fait, sans aide.
Il y avait également l’appréhension de devenir dépendante d’un nouvel outil.
J’ai, en définitive, accepté d’échanger avec Julien. Ma réponse fut laconique et empreinte d’un certain scepticisme (rires) : « oui, pourquoi pas ». J’ai essayé Tadeo… 
Et… L’essayer c’est l’adopter !
Malgré l’appréhension initiale de ne plus pouvoir m’en passer, cet outil s’est révélé être un véritable facilitateur.

C’est un outil qui vous épaule dans votre activité ?

Oui, absolument. Je l’utilise tout le temps désormais, c’est d’ailleurs ce que je craignais ! (rires)

Pourriez-vous nous décrire comment vous utilisez Tadeo dans votre activité d’avocate, et comment Tadeo vous permet plus de facilité ?

Pour tous mes entretiens téléphoniques. 
Je dois préciser ici la primordiale confidentialité attachée aux échanges téléphoniques avec mes clients sans laquelle je ne pourrais utiliser Tadeo. 
J’ai également eu recours à Tadeo à de nombreuses reprises dans le cadre des cours que j’ai pu donner en distanciel, et cela m’a véritablement soulagée. 
Les conditions n’étaient pas toujours idéales : seul un étudiant sur trois, voire quatre, acceptait d’activer sa caméra, alors que je m’appuie en grande partie sur la lecture labiale. S’y ajoutaient les problèmes techniques (tonalité numérique, échos, décalage du son) qui rendaient la compréhension encore plus complexe. Même lorsque j’identifiais la personne qui parlait, une grande partie du message m’échappait. Ces situations étaient pénibles, et après quatre heures de cours, j’avais épuisé toute mon énergie. 
Dans ce contexte, Tadeo m’a apporté une aide précieuse. Même si ce n’était pas la solution parfaite, elle a constitué un véritable soutien dans la gestion des cours à distance.
C’est un peu comparable à la manière dont je regarde un film avec les sous-titres. Sans eux, l’effort de concentration est tel que le visionnage devient pénible, au point d’en perdre tout plaisir. Les sous-titres me permettent alors de relâcher cette tension.
Il en va de même avec Tadeo : lors des conversations téléphoniques, je n’ai plus à mobiliser toute mon énergie pour décrypter les échanges.
 

Comment s’est passé votre accompagnement pour la mise en place de Tadeo ?

De mémoire, quelqu’un est venu au cabinet pour me diriger sur les premiers pas. La prise en main n’a pas été si compliquée. J’avais toujours un interlocuteur pour répondre à mes questions, et mon utilisation est vraiment devenue très fluide assez rapidement.
J’ai bien compris que si j’avais une quelconque difficulté, il y avait une réaction ou une réponse immédiate de l’équipe.

Donc maintenant, quand vous passez un appel par Tadeo, est-ce devenu un automatisme ?

Absolument.
 

Cet accompagnement humain fait-il une vraie différence pour vous au quotidien ?

En fait, il se trouve que je n’ai pas de problème technique, je n’ai même plus besoin de les contacter. Je contacte Tadeo simplement pour la comptabilité !
 

Appréciez-vous notre approche de transcrire le non-verbal (émotions, bruits) ? Ces informations, en plus des sous-titres, vous sont-elles utiles pour vos échanges sensibles ?

Oui, c’est une évidence que ça m’aide à mieux comprendre, c’est un outil d’accompagnement merveilleux.
Mes principales difficultés, lors d’une conversation téléphonique, à défaut de lecture labiale, portaient sur les accents. J’ai beaucoup de mal avec certains accents dont l’élocution est peu articulée. 
Avant d’utiliser Tadeo, je devais constamment décoder, ce qui était extrêmement fatigant. Très clairement, Tadeo a permis de lever cette barrière linguistique liée aux accents : c’est une avancée indéniable.
Quant aux bruits environnants, comme lorsqu’un client a son bébé à proximité, ce n’est finalement plus moi que cela gêne… mais plutôt le transcripteur ! (rires)

Vous avez été citée parmi les femmes inspirantes du magazine le Point du 4 septembre 2025

Cela a été un honneur pour moi de figurer parmi ces « femmes inspirantes ».
(supplément de 24 pages « pour mettre en lumière les femmes qui osent, entreprennent et font bouger la France en 2025 »).  

Votre parcours montre une vraie combativité face aux obstacles liés à la surdité. Quel message souhaitez-vous transmettre aux étudiants ou aux personnes sourdes ?

Que tout est possible, il ne faut pas se mettre de barrières, il faut avoir confiance en soi, avoir la foi en ses aptitudes et en ses compétences. 
Bien sûr, je suis pleinement consciente que vivre avec un handicap peut être extrêmement éprouvant et je ne minimise en rien les obstacles. Mais cela ne doit pas empêcher de se projeter, d’oser, de croire en ses possibles. « Tout est possible, rien n’est obligatoire » … Ce n’est pas de moi, c’est d’un client. J’avais trouvé cette phrase particulièrement inspirante. 

Madame Zocchetto, un grand merci de toute l’équipe Tadeo pour cet entretien très enrichissant.
Merci à vous ! 

 

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